J’étais au lycée, en classe de terminale, et je détestais Descartes. Je suis bien consciente de ce que, posée ainsi, cette affirmation a de péremptoire et de « culotté ».
Descartes avait comme coupé l’homme en deux, le séparant nettement, corps d’un côté, âme de l’autre, privilégiant la raison comme seule capable de bien discerner. Je peux douter de tout, mais je ne peux pas douter qu’il y ait un « je » qui pense…
Dans ce monde bien rangé, qui permet de décomposer chaque difficulté complexe en autant de petits morceaux qu’il en faut pour comprendre clairement et distinctement, le cadre rassure, et l’homme se veut maître de la Nature qu’il utilise à ses fins. (à sa faim ?)
A dire vrai, j’avais également quelques soucis avec les notions toutes chrétiennes de « bien » et de « mal », ainsi qu’avec la culpabilité qui s’y trouvait intimement, inextricablement liée.
Je ne me suis jamais réconciliée avec Descartes. Le monde occidental est resté cartésien, et j’ai poursuivi mon chemin « à côté ».
Et puis, bien plus tard, j’ai rencontré Baruch Spinoza et son éthique de la joie.
Pour Spinoza, l’essence même de l’homme est le désir d’être heureux, de bien vivre, de bien agir. L’homme, essaie, par son effort, de persévérer dans son être et d’accroître sa puissance. Il poursuit sans cesse la joie, définie comme le passage d’un état de moindre perfection vers un état de plus grande perfection.
Surtout, Spinoza va reconnaitre les affects de l’homme comme des évènements du corps et de l’esprit, les deux étant donc indissociables. Nul dualisme dans cette pensée. Ainsi, Spinoza préfigure ce que disent aujourd’hui les neurosciences sur l’impact des émotions dans la raison et dans la prise de décision.
Les affects sont donc à la fois un évènement du corps et de l’esprit. Il va dès lors s’agir de distinguer ceux qui sont conformes à notre nature, et qui seront source de joie des affects non conformes à notre nature source de souffrance et d’aliénation. Une véritable écologie humaine, en quelque sorte.
La clé ici, n’est pas la volonté. La volonté ne sert à rien puisqu’elle ne permet pas d’éviter les passions.
(Prenons l’exemple des addictions, pour illustrer ce propos …)
Ce qui nous permet de reconnaitre les affects conformes à notre nature, c’est la connaissance. Connaissance qui nous permet de percevoir notre appartenance à la Nature, à un grand tout, et à demander ensuite à notre raison de juger de cette conformité.
Pour chacun d’entre nous, en fonction de sa juste place dans ce grand tout de la nature, la réponse sera unique.
Quand trop d’entre nous se plient à des règlements édictés de l’extérieur, souffrent dans des comportements mortifères mais prescrits, s’égarent dans des passions qui conduisent droit au mur, c’est, au-delà des règles, de la morale, à un voyage vers une éthique de la joie, pleine de respect de soi, des autres, de la Nature que nous invite Spinoza.
Et c’est un bien joli voyage !